Des essais thérapeutiques ont-ils été menés par Chronimed, malgré les dénégations de leur président1 ? Pour mieux comprendre le contexte, il est essentiel de se pencher sur sa présentation de leur association comme un groupe de recherche clinique, centré autour du professeur Luc Montagnier, lauréat du prix Nobel de Médecine qui se sont focalisés sur les infections « froides » ou latentes, telles que la maladie de Lyme. Une grande controverse a éclaté lorsque Montagnier a annoncé vouloir lancer un essai clinique sur des enfants autistes en 2010. La revue Nature a critiqué le manque de fondement scientifique de l’hypothèse reliant l’autisme aux infections, et le recours à la théorie jamais validée de la mémoire de l’eau. L’Autism Research Institute, qui a soutenu financièrement ce projet, a présenté l’essai sur son site sans mentionner qu’il impliquerait des tests sur des sujets humains, se contentant d’évoquer des analyses visant à détecter des bactéries. Un tel manque de transparence ne peut qu’alimenter les interrogations.
Un « essai clinique » selon Montagnier
Coup de tonnerre dans le monde médical : deux ans après, Luc Montagnier dévoile des résultats d’un essai clinique mené sur 93 enfants, principalement en France. Ce traitement controversé, qui combine antibiotiques, antifongiques et antiparasitaires, prétend offrir un immense espoir pour l’autisme. Fait troublant, il a fait cette annonce entre autres lors du congrès antivax AutismOne à Chicago, partageant la scène avec divers promoteurs de remèdes douteux.
Lors de la session de questions-réponses, des parents, bien que déjà séduits par des approches non conventionnelles, ont exprimé leurs préoccupations face aux risques potentiels de médicaments comme l’azithromycine et le triflucan, utilisés sur le long terme. Ils ont également soulevé une question cruciale : comment obtenir une ordonnance pour un traitement sans infection avérée ? Face à ces inquiétudes légitimes, Luc Montagnier a opté pour des réponses évasives, laissant de nombreuses interrogations en suspens.
Détails de la vidéo
Vidéo intégrale en anglais d’une durée de plus d’une heure :
- 00:18:40 Essai clinique principalement en France
- 00:29:50 200 enfants déjà traités avec des antibiotiques à long terme
- 00:29:56 Lancement d’une étude sous l’égide du Ministère de la Santé contre placebo d’une durée 3 mois pour tester l’azythromycine
- 00:31:30 Ils n’ont pas encore identifié les espèces de bactéries
- 00:32:30 Affirme détecter les ondes électromagnétiques de bactéries chez 74% des enfants autistes
- 00:34:40 Le cas de 2 enfants : Arthur et Alexandre
- 00:41:13 Questions du public
Sur son site, il clame que « dans 60 % des cas, une amélioration considérable, voire une disparition totale des symptômes » a été observée. Pourtant, ces mêmes données avaient été accueillies avec un scepticisme marqué lors de sa présentation à l’Académie de Médecine en mars 2012.
Détails et chiffres
« Une étude ouverte menée par le groupe Chronimed (Groupe de réflexion sur les infections froides, l’inflammation et les phénomènes de Biorésonnance), qui réunit 15 médecins généralistes autour du Pr Montagnier, indique les résultats a priori impressionnants d’un traitement prolongé par une combinaison d’antibiotiques, incluant notamment des macrolides Sur les 93 enfants traités (dont 73 atteints d’autisme et 10 d’autres troubles envahissants du développement ou TED), 55 % ont bénéficié d’une amélioration rapide « parfois proche d’une guérison », 28 % d’une amélioration plus lente et en dents de scie, tandis que 17 % seulement étaient en échec. Les effets étaient plus favorables chez les enfants traités avant 7 ans. »
Les Généralistes-CSMF
En 2013, Montagnier a déposé un brevet qui intègre ces résultats controversés dans sa section « étude clinique. Une démarche qui soulève des questions éthiques et scientifiques sur la validité de ses affirmations.
Voir les détails du brevet
Procédés et compositions pharmaceutiques pour le traitement de troubles du syndrome de l’autisme » (traduction) : ETUDE: 97 enfants ont été inclus dans l’étude : enfants diagnostiqués autistes (n=73), autisme atypique (n=10), syndrome de Dravet (n=4), syndrome de Rett (n=2), syndrome d’Asperger (n=3), épilepsie, retard mental (n=3) et syndrome de Gilles de la Tourette (n=2). 88% des enfants étaient âgés de 2,5 ans à 12 ans (âge minimum = 15 mois et maximum = 29 ans). Ces enfants ont reçu des antibiotiques à large spectre pendant 3 semaines : macrolides pour les enfants de plus de 8 ans et tétracyclines pour les enfants de moins de 8 ans. En outre, les enfants ont reçu un agent antifongique (Triflucan) et des agents antiparasitaires (Fluvermal et Flagyl). Les carences nutritionnelles et nutritionnelles et immunologiques ont également été corrigées. RESULTATS: Le traitement a été interrompu pour 17% des enfants en raison d’effets secondaires. Une progression lente ou en dents de scie a été observée chez 28% des enfants. Une progression rapide et régulière a été observée chez 55% des enfants (Tableaux 1 et 2). Plus particulièrement, au cours du mois, une amélioration des signes physiques peut être constatée. Dans un second temps, les symptômes comportementaux sont améliorés de manière progressive. Dans un troisième temps, la progression mentale peut reprendre son cours là où elle a été interrompue (psychomotricité, apprentissage, communication…),… »
Absence de publication scientifique
Vu ces résultats sensationnels, il est surprenant de constater l’absence de publications scientifiques à leur sujet. À ce jour, seules des présentations PowerPoint ont été partagées lors de diverses conférences.
Voir les slides de Montagnier
Lien : Water Journal page 35 etc
En 2015, Arte avait annoncé la publication imminente d’une étude menée par Luc Montagnier et son équipe, portant sur 150 enfants âgés de 2 à 15 ans. Cette recherche prétendait démontrer la présence d’une bactérie spécifique, Suterella, chez 85 % des enfants autistes, alors qu’elle était absente chez les enfants non autistes. Cependant, cette publication n’a jamais été réalisée, remettant en question la crédibilité des données initialement avancées.
Le Dr Gil Delhoume avance que l’absence de publication scientifique pourrait s’expliquer par le rejet systématique de ce type d’études par les grandes revues scientifiques. Néanmoins, les données de Chronimed ont été présentées dans un cadre plus restreint, lors du congrès de l’ILADS, réservé aux médecins, à Paris en mai 2017.
La seule publication scientifique à ce jour concerne l’étude de cas d’un enfant ayant suivi l’approche Chronimed. Elle mentionne qu’un traitement antibiotique est « à l’étude » : « Pierre ‘entre dans le protocole ». […] « Un traitement combinant un antibiotique, un antifongique et un anti-parasitaire lui est proposé à partir de mai 2012, sous forme de ‘cures’ mensuelles alternant prises de médicaments et périodes sans traitement » [NDLR : d’une durée d’un an].
Cependant, la conclusion de cette publication émet une mise en garde importante, soulignant le manque de rigueur scientifique dans l’approche de Chronimed :
« L’antibiothérapie, soutenue par un accompagnement pluriel, peut-elle vraiment sur le long terme ‘soigner’ l’autisme, c’est-à-dire débarrasser le sujet de son syndrome ? Avant d’en être certain et de l’avoir vérifié dans une étude scientifique, contrôlée et randomisée en double aveugle, il convient de rester prudent car il ne serait pas éthique de laisser croire à des parents vulnérables, comme le sont les parents des enfants différents. »
Des données sujettes à caution
Le président de la Fondation Autisme, un soutien essentiel de Chronimed, a apporté un point crucial dans les Tribunes Parlementaires en mars 2012 en indiquant que ces données n’avaient en fait pas encore été évaluées dans le cadre d’un protocole de recherche « formalisé ». Cinq and plus tard, il a signalé que les 3000 enfants suivis par une cinquantaine de médecins ne constituaient pas une cohorte scientifique et qu’ils avaient tous eu des protocoles un peu différents.
Présent lors du discours controversé de Luc Montagnier à l’Académie de Médecine en 2012, Dominique Rueff, alors président de Chronimed, a également pris du recul. Il a déclaré trois jours plus tard: « Nous faisons le maximum pour que des études validables puissent être rapidement mise en place, ce qui ne doit pas nous empêcher, pour les praticiens, de communiquer nos résultats personnels et préliminaires. »
En faisant quelques recherches, l’on découvre que Luc Montagnier n’est pas l’auteur du document qu’il a présenté lors de plusieurs conférences, mais qu’il s’agit de la présentation du dr Philippe Raymond. Celui-ci indique que ces données sont issues d’une « étude personnelle« , laissant place à interprétation.
Un détail troublant : l’âge minimum pour participer à cette recherche éthiquement douteuse est de 15 mois, ce qui suscite de vives inquiétudes.
Le document complet est en ligne dans les archives du Web. L’extrait ci-dessus se trouve à la page 30.
Le nombre d’enfants cobayes revu à la hausse
Différentes versions de ces présentations circulent, Malgré des chiffres contradictoires, il ressort qu’un nombre croissant d’enfants autistes sont traités avec un « protocole » lié à la maladie de Lyme.
Un mémoire sur le site du CNRS mentionne pour sa part une étude, non pas sur 97 comme mentionné initialement, mais 200 enfants autistes :
« Le Professeur Luc MONTAGNIER a réalisé des recherches autour de l’autisme qui serait lié selon lui à la maladie de Lyme due à des bactéries transmises par des tiques. […] Des médecins ont donc prescrit des antibiotiques chez des sujets avec autisme suite à cette étude dont les résultats se sont avérés prometteurs chez 200 sujets avec autisme, avec notamment des résultats au bout de trois mois sur des troubles du comportement. Les médecins précisent cependant, qu’il existe des rechutes, ce qui les amènent à reconduire le traitement sur plusieurs mois. »
En 2012, un média sud-américain rapporte les propos de Luc Montagnier, au Parlement de Rome citant ce même chiffre :
« J’ai lancé un protocole expérimental de traitement à base d’antibiotiques auprès de 200 enfants [autistes]. »
L’année suivante, un site argentin fournit peut-être l’explication de cette augmentation du nombre de sujets, à savoir une étude qui toujours en cours :
« Dans une étude sur 200 sujets [autistes], le scientifique a appliqué une série d’antibiotiques spécifiques pour combattre ces bactéries et bien que l’expérience ne soit pas terminée, les premiers résultats indiquent que les enfants ont montré des améliorations importantes dans leur interaction avec l’environnement. »
Un an plus tard, le 07 février 2014, TF1 annonce que près de 1000 enfants auraient déjà été traités avec une majorité de bons résultats.
Mais selon France 3, deux mois plus tard, ce seraient 2000 enfants autistes qui suivraient ce « protocole » en 2014. 50 médecins dans toute la France prescriraient ces traitements à cette date. Il est question de maladie de Lyme.
En janvier 2018, le dr Raymond, co-fondateur de Chronimed mentionne 3000 enfants ayant déjà été traités dans une lettre mise en ligne publiquement sur le site d’une association, chiffre confirmé par le Dr Gil Delhoume qui a cité une étude menée par 60 médecins Chronimed sur 3000 enfants autistes dans un groupe Facebook public en 2018 :
Bribes d’informations
D’après Alternative Santé, une étude dénommée Autibiotique, mise en place en 2012, a du être interrompue en raison d’un manque de financement. En 2013, la Fondation Autisme avait lancé un appel aux dons, avec un objectif de collecte de 350 000 euros. Autre source
En 2015, un projet franco australien, Antibiautism, était projeté pour tester l’azythromycine ou la minocycline en fonction de l’âge des participants.
En 2019, « une étude » était en cours sans précision cf mon article Une mystérieuse étude.
Captures d’écran
Le milieu associatif mis à contribution
A titre d’exemple, cette association de parents d’autistes promouvant largement l’approche Chronimed mentionne le traitement de 7 enfants d’une association de parents dans le cadre d’une recherche, en 2012.
Pistes de réflexion
En conclusion, le parcours de pratiques hors recommandations officielles en matière de traitement de l’autisme, qui a débuté avec le premier cas traité par le Dr Bottero en 1987, a connu une évolution significative. 2005 est l’année des véritables débuts de cette approche. En 2009, deux médecins avaient déjà pris en charge 30 enfants. En janvier 2016, il y avait 54 médecins et 3000 enfants traités2. Aujourd’hui, à l’horizon de fin 2024, des formations à l’approche Chronimed de l’autisme continuent d’être proposées.
Cette méthode qui n’a pas été validée par la communauté scientifique soulève de nombreuses questions et met en exergue des problématiques éthiques ainsi que des enjeux réglementaires3 qui méritent une attention particulière. Dans le domaine de la science et de la médecine, il est essentiel que chaque approche soit fondée sur des bases solides et des preuves concrètes. Cela est crucial pour garantir la sécurité ainsi que le bien-être de toutes les personnes qui participent à une étude ou à une recherche. En effet, sans ces éléments fondamentaux, il est difficile de justifier l’utilisation de certaines pratiques, ce qui peut mener à des conséquences délétères pour les individus engagés dans ces processus.
- Vidéo de 3h43min50s à 3h45min29s. Le Dr Gérard Guillaume intervient juste après le Dr Quemoun dont le nom s’affiche par erreur pour les deux interventions. Biographie ↩︎
- Chronologie tirée de la vidéo du Dr Raymond au Congrès Sortir de l’autisme ↩︎
- Réglementation relative aux essais ou investigations cliniques ↩︎