Qu’en est-il des allégations de guérisons de ces médecins qui proposent des antibiotiques au long cours comme remède pour l’autisme ? Sur quels critières se basent les résultats annoncés en grande pompe ? Je vais m’attarder sur les failles du discours.
Les allégations
Le professeur Luc Montagnier a publié le communiqué suivant sur son site le 11 janvier 2012 :
« Notre groupe de chercheurs et médecins s’est constitué en une structure d’études des maladies
chroniques, Chronimed […] Notre but est de porter dès à présent à la connaissance du monde
médical et des parents, des possibilités immédiates de traitement qui peuvent améliorer ou guérir plus
de la moitié des enfants autistes«
Il présente ces résultats à l’Académie de Médecine le 20 mars 2012 qui prend bien sûr ses distances. Il y aura très peu d’écho dans la presse française, les critiques venant surtout d’autres pays. Devant cet accueil si froid, Montagnier accepte une interview pour Orbs, une revue ésotérique (!) de Maxence Layet qui publie un article intitulé L’incroyable découverte médicale de Luc Montagnier mettant en avant des « améliorations spectaculaires ».
Dans la préface du livre Une ordonnance pour la France de Frédéric Bizard (2012), Luc Montagnier a écrit :
« Un groupe de médecins généralistes accumule depuis plusieurs années les cas de guérisons et d’améliorations spectaculaires d’enfants autistes obtenues par des cures d’antibiothérapie de longue durée. Cette approche médicale peu coûteuse […] est complètement ignorée du public, de la plupart des médecins et des autorités de santé.3
En 2014, les praticiens de Chronimed ont réussi à décrocher un reportage TV de 3 minutes qui annonce que 1000 enfants ont été traités avec une majorité de bons résultats. C’est le Dr Louis Teulières de Chronimed qui a été interviewé. Vous pouvez le visionner ici : Reportage TV sur Chronimed
La même année, le Dr Richard Horowitz, spécialiste américain de la maladie de Lyme, co-fondateur de l’ILADS, annonce sur Facebook qu’en France, des enfants traités par le Dr Raymond, de Chronimed, seraient sortis de l’autisme grâce à un antibiotique, le Zithromax. Il passe soigneusement sous silence les autres médicaments qui font partie du cocktail.
Le Dr Raymond, qui est mentionné ici, et considéré comme le porte-parole de Chronimed, parle effectivement de guérison de l’autisme à un Congrès intitulé « Sortir » de l’autisme en 2016.
Christian Perronne relaye ces fausses informations dans son livre, La vérité sur la maladie de Lyme.
Il est lui-même membre fondateur de Chronimed, un détail qu’il n’a jamais souhaité divulguer.
Les failles
Une définition réinventée
Une militante du « biomed » a affirmé que son enfant était officiellement guéri de l’autisme, alors qu’elle ne parlait toujours pas à l’âge de 7 ans. Cette anecdote montre qu’il faut s’entendre sur la définition du mot autisme. Il est urgent de s’éloigner d’une vision psychanalytique, ou des critères dépassés des années 60, qui sont tellement loin du consensus scientifique actuel. Mais il y a des réticences. Le Dr Raymond, un porte-parole de Chronimed, disait que c’était une « arnaque » de classer les autistes Asperger comme autistes… [Source]. Il ne semblait pas au courant que l’étiquette Asperger a été reléguée aux oubliettes au profit de la notion de TSA (Troubles du Spectre Autistique), sur la base de critères bien plus larges et que les enfants classés « sévères » ne sont pas condamnés à rester dans cette case.
Le prisme de la peur
Pour récolter des fonds pour la recherche, c’est mieux de brosser un tableau sombre. L’évolution des enfants autistes serait figée, il s’agirait pour certains même d’une maladie neurodégénérative. On relate alors des progrès habituels comme s’ils étaient survenus grâce à un traitement expérimental. En réalité, si les jeunes enfants enfants autistes peuvent aligner des objets pendant des heures, répéter incessamment des bouts de phrase, marcher sur la pointe des pieds, cela ne signifie pas qu’ils vont faire ça le reste de leur vie. Il ne faut pas oublier que leur développement suit une trajectoire atypique
Une étude dont on apprend l’existence sur Facebook
Il n’existe aucune publication nulle part. Sauf un rapport de cas d’un patient unique (voir paragraphe suivant), s’il s’agit du même protocole (?)
Pas le même test avant-après, etc
Il y a eu un rapport de cas publié d’un patient unique de Chronimed qui a participé à un protocole :
Maladie de Lyme syndrome autistique et traitement antibiotique : une réflexion à partir d’un cas
[Mes commentaires dans cet article]
Des critères d’évaluation bizarres ont été employés pour évaluer la réponse au traitement lourd institué pendant un an. Un test de QI, qui n’est pas une mesure d’évaluation de l’autisme a été employé. Pire : un test différent a été employé avant et après (Wisc vs matrices de Raven). Il sait pourtant que les personnes autistes ont souvent de meilleurs résultats au deuxième. Le changement d’établissement scolaire et le démarrage d’une prise en charge orthophonique peut bien expliquer les progrès, somme toute modestes, constatés. Et c’est la mère qui fait le bilan, avec tous les biais que cela implique, se basant sur des notions qui ne définissent évidemment pas les TSA : « Avoir froid », « la qualité du sommeil », « accepte d’accompagner sa mère au supermarché », le jeune de 14 ans « s’intéresse aux discussions familiales », « les difficultés scolaires peuvent être abordées sans qu’il se mette en colère » !
Comparer les progrès d’un nourrisson à ceux d’un adulte
La population étudiée dans ce protocole n’est pas homogène, c’est le moins qu’on puisse dire. Le prof Montagnier présente une diapo que vous trouverez en ligne ici (page 37) avec les détails d’une étude « personnelle » : 97 sujets âge minimum 15 mois, maximum 29 ans, comme si l’évolution d’un bébé suivait la même trajectoire que celle d’un jeune adulte et pouvait être jugée de la même manière. Et pour les droits des enfants, cobayes à leur insu, passons sur ce détail.
Le dessin et le chant comme outils de mesure
Les photos ci-dessous attesteraient selon certains des progrès d’un enfant grâce à l’antibiothérapie, mais on oublie que les enfants grandissent et progressent naturellement :
Autre exemple :
Un examen étrange
L’encéphaloscan, un examen inconnu des neurologues a été utilisé pour le bilan avant/après par au moins un médecin :
Les « signaux électromagnétiques » des enfants autistes
Un test non reconnu a été utilisé basé sur l’hypothèse contestée de la mémoire de l’eau dans l’étude de Montagnier sur 97 sujets.
Ce graphique a été présenté par Luc Montagnier lors de diverses conférences.
Source : Water Journal (page 41). EMS = Electromagnetic Signals
Vidéos avant/après
Les vidéos avant/après ont aussi servi pour juger le résultat. Cette méthode a été fortement critiquée pour sa subjectivité. On imagine facilement qu’un enfant fatigué, stressé, face avec des inconnus, aura plus de troubles de comportement, mais l’autisme, ce n’est pas ça. Par ailleurs, les stratégies d’adaptations évoluent spontanément avec l’âge.
Des extraits de ces vidéos ont été diffusés par Montagnier lors de sa présentation de sa méthode révolutionnaire au congrès antivax AutismOne, en 2012. Je dispose d’une copie de cette vidéo d’une heure qui n’est désormais plus accessible en ligne.
Qui fait l’évaluation ?
Pour une évaluation objective des progrès, les études en double aveugle contre placebo sont irremplaçables. Ici, on ne sais même pas si un groupe contrôle a été constitué ou pas.
Par contre, tester des hypothèses totalement improbables sur des enfants cobayes, alors qu’elles ont déjà été discréditées depuis tant d’années, pour tenter de « guérir » une condition neurodéveloppementale, c’est absolument contraire à toute éthique.
Des témoignages de parents avec des contradictions
- Une mère parle de guérison de l’autisme mais continue à demander des allocations avec complément 4, le diagnostic de TSA ayant été remplacé par un autre
- Un enfant, sans déficience intellectuelle, dont l’amélioration spectaculaire a été médiatisée mais qui a toujours besoin d’auxiliaire de vie scolaire des années plus tard
- Un témoignage de guérison largement médiatisé, mais depuis, la mère a supprimé des informations sur le Web en précisant pour « droit à l’oubli ».
- Un récit flou, qui manquait de clarté. On se demande si l’enfant a vraiment été diagnostiqué avant et dans quelles conditions, et les conclusions à l’issue du traitement sont tirées à la va-vite, sans le moindre recul, et de façon subjective
- Des progrès qui n’ont rien d’inhabituel sont relatés comme si c’était extraordinaire
- Les progrès d’un enfant ont été attribués à l’antibiothérapie, mais ailleurs, pour le même enfant, à l’ABA intensif (interventions comportementales).
Références
- Les instruments d’évaluation de l’autisme : intérêts et limites
- La démarche et les outils d’évaluation clinique du trouble du spectre de l’autisme à l’ère du DSM-5
- Outcome Measures for Clinical Drug Trials in Autism
- Measurement tools and target symptoms/skills used to assess treatment response for individuals with autism spectrum disorder
- Better tools needed to assess clinical trials
- Debunk de Chronimed